histoire
Septembre 2092. « Ce monde ne m’appartient plus ». La voix trébuchait, hésitante, c’était celle d’un vieillard à l’agonie. Assis dans un fauteuil délabré, sa main blanche et maigre caressait difficilement une masse de cheveux noir secouée de sanglots. La tête sur les genoux de son père, Elric Chamberlain n’acceptait pas le châtiment du destin. Son géniteur avait été également son mentor, son meilleur ami, refusant qu’il parte à l’Ecole de la Colonne pour tout apprendre à Durmstrang, et profiter des liens familiaux anciens des Chamberlain pour que cela arrive.  Il ressentait chaque mouvement du vieil homme, ancien Chef du Bureau des Aurors, comme si cela allait être son dernier. Les doigts de ce dernier se crispaient pour mieux se relâcher, dans d’ultimes tentatives de douceur. Puis le geste cessa. Deux autres mains, plus vigoureuses, attrapèrent le nouveau leader de la dynastie Chamberlain par les épaules. Il tenta de se débattre en vain. Il fut trainé en dehors de la toute nouvelle tour bancaire des sorciers de la République du Nord par deux Aurors, rescapés de l’attentat à la bombe. Il ne restait presque rien du bâtiment tandis que tous les robots publicitaires continuaient à geindre leurs messages d’alarme.

Les ruelles étaient presque vides, la société à l’arrêt. Certains parmi les plus jeunes utilisaient leurs interfaces PAR pour immortaliser le chaos qui régnait dans le quartier sorcier de Reykjavik, vitrine des sorciers du Nord, et le partager en masse sur des serveurs sorciers en ligne, qui demeuraient encore secrets. Elric Chamberlain fut soulevé par magie et installé sur une civière. Il fouilla dans sa poche, il n’y trouva que les restes calcinés de sa baguette magique.  Il n’eut pas le temps de reprendre son souffle devant l’ampleur de ses pertes qu’on lui plaqua un linge blanc sur le nez. Il avait beau y mettre le peu de force qui lui appartenait encore, le sorcier ne put s’échapper de l’étreinte. Mais, devant se yeux, il comprit ce geste manifestement bienveillant. Le squelette en acier de la tour bancaire s’écrasait sur lui-même, soulevant des nuages de poussières et broyant secours, rescapés et victimes encore à l’intérieur. On ne voulait pas qu’Elric inhale ces nuées de particules de verre et de métal qui volait en tourbillon, poussé dans les airs par les ruines qui s’écroulaient. Les Aurors décidèrent l’évacuation des blessés par transplanage, malgré les risques de désartibulement…

Novembre 2112. Penché sur la Pensine qui flottait à quelques centimètres de son bureau de verre, Elric Chamberlain n’avait pas entendu le Ministre de la Magie entrer dans son office. Depuis l’attentat orchestré par des membres de l’organisation LIBER8 sur la tour bancaire, Anders Kristiansen s’était peu à peu imposé comme une seconde famille. Néanmoins, à l’inverse de son traumatisme, Elric était devenu le confident du ministre de sang-mêlé et son plus proche collaborateur. Le Secret Magique détruit, l’ancien Briseur de Sorts, chasseur de mage noir émérite et figure de la génération née durant la Troisième Guerre Mondiale, avait été nommé à la tête du Département de la Coopération Magique Internationale.

« Encore septembre 2092 ? », demanda dans un soupir le Ministre de la Magie avec une compassion sincère. Elric ne lui porta pas un regard et ne lui adressa aucun mot, mais se confondit en un demi-sourire nostalgique. Il n’avait pas besoin de la Pensine pour se rappeler chaque jour de cette page de son histoire. Elle avait forgé sa carrière au sein la République du Nord, côté sorcier. C’était là aussi où il avait perdu sa jambe droite, pendant l’évacuation, désartibulée et jamais retrouvée. La présence de magie noire, composante désormais finement analysée de la bombe des LIBER8, avait empêché tout traitement magique de lui rendre le membre perdu. A la place, une jambe alliant technologies, runes et tissus organiques lui permettait de marcher - presque - normalement. C’était grâce à elle qu’aucun détecteur de sorcellerie ne pouvait identifier ni dissiper ses sortilèges de dissimulation et de protection.

Toujours muré dans le silence, Elric Chamberlain agita sa baguette faite de graphite. Deux verres de whisky sortirent d’un placard avant d’atterrir en douceur dans leurs mains.  « A la République du Nord, frère » énoncèrent-ils avant se bruler la gorge d’alcool, et ce d’un seul trait.